Partenaires

IHPC
CNRS
ENS de Lyon Université Blaise Pascal- Clermont-Ferrand
Université Lumières - Lyon 2 Université Jean Monnet - Saint-Etienne


Rechercher

Sur ce site

Sur le Web du CNRS


Accueil du site > Axes de recherche > Histoire de la philosophie > Le retour des philosophies antiques à l’âge classique

Le retour des philosophies antiques à l’âge classique

Philosophie ancienne et pensée moderne

Resp. Pierre-Marie Morel

Cet axe développe une orientation déjà confirmée des recherches menées au sein de l’UMR 5037 : l’étude de la réception moderne de la philosophie et de la culture anciennes. Il analyse les origines gréco-romaines de la pensée moderne, les continuités et les ruptures entre l’Antiquité et l’Age classique dans les domaines de la philosophie de la nature, de l’éthique et des théories de la connaissance.
Il poursuit l’étude de la réception moderne, tout en développant des recherches nouvelles sur une période essentielle pour la constitution de la modernité : la période hellénistique (épicurisme, stoïcisme, scepticisme).
Les travaux sur la période hellénistique prendront, à partir de 2009-2010, la forme de Rencontres internationales de philosophie hellénistique (une fois par an à l’ENSLSH), organisées par P.-M. Morel en collaboration avec T. Benatouïl (Université Nancy II – Institut Universitaire de France) et V. Laurand (Université de Bordeaux III).
Première session : 8-9 avril 2010 : « Lecture du Contre Colotès de Plutarque. »
Ce projet s’inscrit dans le cadre du développement de la recherche en philosophie hellénistique à l’ENS LSH et à l’UMR 5037, initié en 2008-2009 par le Séminaire « Nature, raison, convention » (P.-M. Morel). Il sera étroitement associé au « Séminaire de philosophie hellénistique et romaine » organisé par A. Gigandet (Université de Paris XII), C. Lévy (Université de Paris IV), P.-M. Morel, B. Besnier (par l’intermédiaire duquel l’ENSLSH est historiquement associée à ce séminaire).
Concernant la réception moderne de la philosophie ancienne, P.-F. Moreau et P.-M. Morel, en association avec C. Volpilhac, préparent actuellement un Colloque international sur « Platon au XVIIIe siècle » (deux sessions : 2010 et 2011).
En matière de diffusion de la recherche, et toujours dans le domaine de la pensée et de la culture hellénistique, P.-M. Morel est associé, comme co-directeur de la rédaction, au projet de revue électronique AITIA (promoteur du projet : Christophe Cusset – UMR 5037 ; diffusion : Presses de l’ENS LSH).

« La réception du poème de Lucrèce dans la culture française de la première modernité à travers ses traductions », colloque international

Organisation :
Responsables : Michèle Rosellini, Philippe Chométy (MCF Toulouse-Le Mirail)
Financement : CERPHI, CRAIRAC (Aix-en-Provence)
Problématique :
La présence du poème philosophique de Lucrèce, le De rerum natura, dans la littérature et la philosophie française de la première modernité est attestée par de multiples études, générales et monographiques. Il s’agira ici d’explorer le contexte culturel de ce phénomène par une étude systématique des supports de diffusion du texte de Lucrèce disponibles pendant cette période.
La préparation de la journée d’étude consistera à inventorier les éditions et les traductions parues en France du milieu du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle. Le choix de ces frontières temporelles repose sur l’observation d’une cohérence relative de la pratique et de la théorie de la traduction à cette époque, ainsi que sur la reconnaissance dans le champ de nos disciplines de son unité culturelle, validée par les « early modern studies » anglo-saxonnes.
La journée d’étude elle-même, qui réunira des spécialistes de la traduction et des chercheurs engagés dans l’étude de la littérature et de l’histoire des idées des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, permettra de tracer avec quelque précision le tableau de la présence éditoriale du De rerum natura, et d’établir des liens avec la circulation des idées et des énoncés lucrétiens dans les milieux intellectuels aux différentes étapes de l’élaboration du néo-épicurisme dont les travaux d’Olivier Bloch et de Jean-Charles Darmon ont montré la prégnance et l’étendue dans la production littéraire française.
Publication :
La publication des communication de la journée d’étude gagnera en visibilité et en fécondité en étant associée à la publication d’une anthologie des traductions de Lucrèce dont elle aura permis l’inventaire et la description.

Représentations du juste milieu et critiques de la morale aristotélicienne dans la deuxième moitié du 16e siècle

Resp. Tristan Vigliano

Cette réflexion se présente comme un autre prolongement, cette fois-ci en diachronie, de nos travaux de doctorat. Nous voudrions étudier les représentations du juste milieu et les critiques apportées à la morale aristotélicienne dans les textes de la deuxième moitié du 16e siècle. La recherche paradoxale d’un juste milieu inexistant, par l’essai permanent des extrêmes, ne semble pas abandonnée. Mais le contexte politico-religieux a changé : le temps de l’évangélisme est révolu. C’est à une laïcisation de cette recherche qu’on assiste. Il faudra la mettre en rapport avec le grand décentrement cosmographique qui s’opère, et dont les effets ressentis étaient encore limités dans la période précédente. A l’horizon : Montaigne, mais aussi Jean Bodin.
En 1596 paraît le seul ouvrage de Bodin spécifiquement consacré à la philosophie morale : Paradoxon quod nec virtus ulla in mediocritate nec summum hominis bonum in virtutis actione consistere possit. Ce texte latin est ensuite traduit en français par l’auteur lui-même, et fait l’objet d’une publication posthume, en 1598, sous le titre suivant : Paradoxe qu’il n’y a pas une seule vertu en médiocrité, ni au milieu de deux vices. Il s’agit d’un dialogue entre un père et son fils, autour de deux affirmations qui prennent le contre-pied de la doctrine aristotélicienne, telle qu’elle est exposée dans l’Éthique à Nicomaque : le souverain bien ne réside pas dans l’action de la vertu, et les vertus ne sont pas des médiétés. On comparera l’exposé de l’Éthique à la description qu’en donne Bodin. On essaiera de situer sa polémique par rapport à ses sources. On s’interrogera enfin sur la forme littéraire choisie, celle du dialogue, en la rapportant à la visée pédagogique de l’auteur, qui explique également qu’il ait voulu proposer de son texte une traduction.
Ce travail prendra la forme de différents articles, et débouchera probablement sur une édition bilingue du texte de Bodin, d’après les deux versions d’origine.

L’anti-stoïcisme au XVIIe

Resp. Laurent Thirouin

Les thèses de Paul Bénichou sur la « démolition du héros » appartiennent aujourd’hui à la doxa critique. Elles sont corroborées par la mise en évidence d’un substrat augustinien dans la littérature classiques (Ph. Sellier, Jean Lafond). Ces deux options critiques organisent aujourd’hui largement le cadre interprétatif et le discours sur la littérature du XVIIe siècle en France.
Un corollaire de ces partis philosophiques et anthropologiques est la mise en cause du stoïcisme, considéré souvent dans le milieu de Port-Royal, comme une version laïque du pélagianisme. Si l’incrimination du philosophe stoïque est parfois très explicite (Frontispice de la 1re édition des Maximes de La Rochefoucauld ; Entretien de Pascal avec M. de Saci sur Epictète et Montaigne), elle semble largement partagée, quoique de façon moins insistante, dans de multiples familles d’esprits au XVIIe siècle. Que ce soit au nom de convictions épicuriennes, chez des auteurs proches des libertins, ou à cause d’une forte imprégnation augustinienne, les adversaires du stoïcisme forment une grande cohorte, à partir de l’époque de Pascal.
Nous souhaiterions étudier cette composante essentielle de la pensée classique à travers deux premières séries de travaux.

- Traduction et transmission de l’œuvre d’Epictète
Il s’agit essentiellement d’apprécier le rôle de Jean Goulu (Dom Jean de Saint-François, feuillant), traducteur en 1609 des Propos d’Epictète, et source principale de la connaissance que Pascal pouvait posséder du philosophe grec.
Quelle est la postérité de Dom Goulu au XVIIe siècle ? Comment l’approbation pour les thèses stoïciennes que traduit l’entreprise de Goulu au début du siècle a-t-elle pu se transformer progressivement en une réception moqueuse, voire franchement hostile ?
Quel est enfin le statut d’Epictète comme représentant de la pensée stoïcienne au XVIIe siècle, au regard notamment de Sénèque ?

- Séminaire sur les Morales du grand siècle, de P. Bénichou
Le maître livre de Bénichou, malgré des aspects un peu vieillis, continue à inspirer maints commentaires sur les principales œuvres du classicisme français, et sur les auteurs majeurs de la période (Corneille, Pascal, Molière, Racine).
Une évaluation s’impose aujourd’hui. A la lumière de certaines avancées critiques récentes, sur le jansénisme notamment, ou sur l’influence augustinienne, peut-on encore attacher du crédit aux intuitions majeures de Bénichou ? L’idée de « démolition du héros », le choix de 1661 comme date charnière d’un renversement idéologique, résistent-ils ?
Pour apprécier les apports de Paul Bénichou dans les études dix-septiémistes, et proposer un bilan critique de son étude sur les « morales du Grand Siècle », un séminaire de Master sera proposé, qui articulera une relecture des textes littéraires de référence qui fondent les thèses du grand critique et un examen de ses propres catégories intellectuelles, telles qu’elles ressortent de l’ensemble de son œuvre.

L’épicurisme à l’âge classique

Mars 2011 : « Usages paradoxaux de Lucrèce au XVIIe siècle » Organisatrices : Delphine Kolesnik (MCF philo ENS LSH / CERPHI), Michèle Rosellini ((MCF lettres ENS LSH / CERPHI).
Problématique : Le poème de Lucrèce n’est pas seulement le texte de référence des néo-épicuriens de l’âge classique. Il est aussi réserve de motifs et d’arguments pour les adversaires de l’épicurisme. Leurs divers modes de réinvestissement révèlent la place de la polémique dans la réflexion philosophique, le discours apologétique, voire la prédication. Ils témoignent aussi de la vitalité d’un texte qui continue fournir des matériaux et des formes au débat d’idée.
Programme à préciser ; pour l’instant deux communications prévues :
D. Kolesnik : « Les arguments lucrétiens dans les Pensées : persuasion ou conviction ? »
M. Rosellini : « Lucrèce au service du combat contre l’épicurisme : présence du De rerum natura dans la prédication de Bossuet »
Mai 2012 : colloque international : « La postérité poétique du De rerum natura, de la Renaissance au XXIe siècle »
Cet intitulé est à entendre en deux sens :
1. L’influence du poème de Lucrèce chez les poètes : il est la référence majeure pour les auteurs de poésie scientifique, du XVIe (Du Bartas) au XXe siècle (Francis Ponge) ; ils y trouvent à la fois la légitimation de leur entreprise et des formes de transmission des contenus de la science contemporaine.
2. La fécondité des images, des motifs, des énoncés, des vocables lucrétiens dans la littérature et la philosophie : le travail des philosophèmes de l’épicurisme dans divers discours de la Renaissance et de l’Age classique a été mis en évidence par nombre d’historiens de la philosophie et de la littérature depuis l’invention du terme par Olivier Bloch. Mais on a été peu attentif à la forme verbale de ces énoncés, qui est le résultat d’une mise en œuvre poétique, celle de Lucrèce. Du XVIe au XVIIe siècle l’épicurisme est presque exclusivement connu et diffusé par le poème lucrétien. La transmission de la doctrine est donc tributaire de la force singulière de sa formulation. L’incarnation poétique des problèmes, des expériences, des postures philosophiques produit des tableaux (les chimères aperçues dans les nuages, le ciel reflété dans une flaque), des micro-fictions (le naufrage près du port, la Vénus vulgivague) ou mobilise des formes rhétoriques spécifiques (l’hymne à Vénus, la prosopopée de la nature). La cadence poétique, née des contraintes métriques de l’hexamètre, détermine le caractère formulaire des énoncés. La transposition des concepts du grec en latin contribue à créer un vocabulaire lucrétien de l’épicurisme. Lucrèce retravaille les concepts épicuriens à partir de ses propres choix de traduction : par le jeu de l’étymologie, de la synonymie, de l’homophonie, de nouveaux rapports se créent entre les mots-clés de la doctrine, induisant des développements qui lui sont propres. On peut penser, à titre d’exemple, à l’homophonie amor/umor qui devient l’axe central du discours lucrétien sur l’amour. Or la force signifiante de la langue latine n’est pas totalement occultée par la traduction. Ses effets peuvent être transposés ou déplacés, ils continuent à dynamiser la pensée ou fructifient en fictions autonomes (par exemple, le spectacle de l’assemblage des atomes dans les Etats et Empires du Soleil de Cyrano).

Séminaire : « Les autorités à la Renaissance : modèles et contre-modèles »

Resp. Tristan Vigliano

Les recueils d’autorités et de sentences, hérités du Moyen Âge, continuent d’occuper une place importante dans l’activité éditoriale de la Renaissance : parmi les livres récemment présentés dans l’exposition « De peu assez » figure tout naturellement un recueil de sentences illustres, celles de Cicéron, publiées chez Jean de Tournes en 1571. La parole des philosophes et poètes de l’Antiquité exerce encore un poids suffisamment important pour qu’on en médite la sagesse, pour qu’on en apprenne par cœur les plus frappantes manifestations. Ce phénomène peut être mis en relation – c’est du moins notre hypothèse – avec la domination de la philosophie péripatéticienne dans les Écoles : car malgré les attaques dont elle fait l’objet, et comme l’a montré Charles B. Schmitt dans son étude fondamentale sur Aristote à la Renaissance, cette domination ne se dément pas vraiment. Nous croyons possible de montrer que le renvoi aux autorités se fonde en grande partie sur la définition de la vertu, telle qu’elle se donne à lire dans l’Éthique à Nicomaque  : la vertu, on le sait, est une moyenne déterminée rationnellement en fonction des circonstances, telle que la déterminerait l’homme prudent. Précision importante pour notre propos, puisque l’homme prudent ressemble beaucoup à l’autorité ancienne, dont la tutelle est ainsi assurée sur l’ensemble de la sphère morale, autrement dit : sur tout ce qui a trait à l’agir. Vastes perspectives.
L’objet de ce séminaire, plus modeste, serait d’examiner la permanence et la critique, la lecture et la concurrence des autorités à la Renaissance. Trois thématiques assez diverses pourraient être envisagées :

- 1re thématique : « La fabrique des hommes prudents ». Le rôle des autorités dans la littérature morale (problématique exposée ci-dessus). Cette thématique permettrait d’intéresser les participants et intervenants aux travaux des membres du GRAC. Elle serait, en effet, intimement liée à une réflexion sur la permanence des philosophies antiques, aristotélisme et scepticisme en particulier, dans la littérature de la Renaissance. Elle supposerait en outre l’étude d’auteurs tels que Bodin ou Vives (pourfendeur acharné mais ambigu de l’argument d’autorité).

- 2e thématique : « Lecture des Pères et polémiques renaissantes ». La réception des Pères de l’Église dans l’humanisme. Le cas de saint Augustin paraît particulièrement intéressant, en ceci qu’il rejoindrait un axe fort des recherches menées par le GRAC. La période à envisager, du moins pour commencer, pourrait être les années 1500-1530 : comment passe-t-on d’un augustinisme plus « philologique », nourri principalement du De doctrina christiana, à un augustinisme plus « théologique », émergeant surtout avec la querelle du libre-arbitre ? comment se détermine un auteur tel que Vives, intéressé surtout par une lecture « philologique » d’Augustin, mais qui se situe exactement à une date-charnière du passage vers l’augustinisme « théologique » ?

- 3e thématique : « Poètes nouveaux, lecteurs d’Anciens ». La réception des poètes et grammairiens anciens dans l’élaboration des poétiques nouvelles de la Renaissance. Cette thématique s’inscrirait dans le prolongement d’un article récent sur la lecture d’Horace par Ronsard dans les odes de Canidie. On pourrait essayer de montrer que l’assomption de l’auteur suppose, bien souvent, une « concurrence d’autorités » avec le modèle ancien. On pourrait également s’interroger sur la figure de Sulpicia à la Renaissance : le livre stimulant, mais controversé, de Mireille Huchon sur Louise Labé passe complètement sous silence cette poétesse ; Sulpicia, en qui l’on voit à la Renaissance un masque de Tibulle, n’est-elle pourtant pas une « créature de papier », à sa manière ?

Poétiques évangéliques de la contradiction : scepticisme et « œuvre ouverte »

Emmanuel Naya

L’influence d’une tradition philosophique se fait parfois en dehors de son propre champ, au gré de croisements avec d’autres disciplines : le scepticisme antique est particulièrement représentatif d’un tel prolongement, hors les murs qui semblaient le circonscrire. Il est frappant de constater que tout un pan de la littérature de la Renaissance se distingue par sa capacité à se contredire, à proposer un discours contradictoire qui empêche toute interprétation univoque. Cette tendance, repérée chez des auteurs tels que Rabelais, Marguerite de Navarre, Bonaventure des Périers, se vérifie aussi chez des poètes tels que Marot — dont l’Adolescence clémentine désorganise toute narration et toute construction d’un ethos stable —, ou encore M. Scève. Bien souvent, la critique a fait de ces textes — surtout dans le cas des textes narratifs — des « œuvres ouvertes » pour reprendre l’expression d’Umberto Eco, textes suspensifs et ludiques préfigurant les pratiques de la déconstruction systématique. L’opposition entre partisans d’un Rabelais constructiviste et d’un Rabelais de la suspension du sens par déconstruction a donné lieu à des débats féconds. Notre hypothèse serait de nous départir de tout jugement anachronique ou comparatif pour expliquer par un cadre philosophique et spirituel ambiant ce qui est une pratique qui assume à la fois la dispersion et l’unité du sens, la contradiction et la cohérence. Ce cadre demanderait de vérifier comment un milieu d’auteurs évangéliques, unis par une spiritualité commune, a pu construire une poétique de la contradiction fondée sur le croisement d’un héritage pyrrhonien et d’une spiritualité ancrée dans le paulinisme et dans la théologie négative. De tels auteurs ont pour point commun d’avoir fréquenté la cour de Renée de France à Ferrare, propagatrice de l’évangélisme et relais probable d’un texte fondamental pour l’histoire du scepticisme : l’Examen vanitatis de Gianfrancesco Pico della Mirandola, publié en 1520 par un imprimeur de Ferrare proche comme ce dernier des idées de Savonarole.
Ce projet consiste donc à préparer un ouvrage collectif sur la poétique de la contradiction dans la littérature évangélique. Partant d’une étude théorique observant les croisements philosophiques et théologiques autour d’une théorie linguistique de la non-assertion, cette enquête se consacrera ensuite à l’étude d’un tel paradigme chez plusieurs auteurs liés à l’évangélisme : Érasme, Marguerite de Navarre, Rabelais, Marot, Scève : un tel ouvrage permettrait de renouveler les perspectives actuelles sur la théorie de la fiction mais aussi le lyrisme poétique de la première moitié du XVIe siècle. Ce projet a trouvé son point de départ le 3 avril 2008 à Chicago dans une session du congrès de la Renaissance Society of America organisé par E. Naya, session qui a permis de réunir les quatre premiers participants à cette entreprise collective : J. Miernowski (Univ. of Wisconsin, Madison), I. Garnier-Mathez (Univ. Jean Moulin Lyon III), M. Clément (Univ. Lumière Lyon 2) et E. Naya (Univ. Lumière Lyon 2).
Publication prévue chez Classiques Garnier en 2012.

Tradition pyrrhonienne et genre de l’essai

Emmanuel Naya

Un autre champ d’investigation permettant d’évaluer les impacts poétiques de la procédure intellectuelle qu’est le scepticisme antique est celui de l’essai tel que le pratique Montaigne. Le caractère philosophique des Essais ne dépend pas seulement ou avant tout des thèmes qu’il traite, des débats dans lesquels il s’insère ou qu’il ouvre ; il est profondément lié à une manière d’écrire et de composer, qui dépend lui-même du réinvestissement du scepticisme, modèle antique d’« exercice spirituel » ne pouvant se conduire qu’à travers une redéfinition des moyens linguistiques et des procédures argumentatives courantes. Le problème est que ce scepticisme n’a quasiment jamais été reconnu — à quelques exceptions récentes près — dans sa nature réelle qui ne fait pas de lui une doctrine fondée sur un métadogmatisme négatif, mais une méthode d’investigation rationnelle ; et surtout, le scepticisme de Montaigne n’a jamais été étudié à partir du prisme affiné qui serait celui du cadre textuel précis définissant le pyrrhonisme à la Renaissance. Montaigne a ainsi toujours été abordé à travers une vision moderne du pyrrhonisme renaissant limitant ce dernier à une arme apologétique (ce qui hypothèque selon nous considérablement la compréhension de la réflexion religieuse chez cet auteur) ; en outre, un repérage précis des sources pyrrhoniennes — qu’il s’agisse de citation ou de reprise de schèmes argumentatifs précis — n’a jamais été conduit avec exactitude. Or, un tel texte appliquant un « art de conférer » ne peut se comprendre qu’au prix de la restitution minutieuse du réinvestissement de la méthodologie sceptique opéré par Montaigne. Une telle étude s’inscrirait dans le droit fil de la nouvelle édition des Essais que nous venons de publier en format de poche (coll. « Folio », Gallimard), édition qui lui donnerait une nouvelle assise philologique.
Une telle étude donnera lieu à la publication d’un ouvrage sur l’impact du pyrrhonisme dans les Essais. Ce travail s’effectuera en trois enquêtes complémentaires, dont l’une a déjà donné lieu à la rédaction de 250 pages. Dans un premier temps, il s’agira de conduire un état des lieux de la présence du scepticisme, tant comme source d’arguments ou de théories philosophiques antiques, que matrice poétique et argumentative. Un examen philologique exhaustif serait conduit à partir du corpus pyrrhonien dégagé dans nos travaux antérieurs sur la réception du scepticisme au XVIe siècle, examen qui n’a aujourd’hui jamais encore été proposé. Il s’agirait de répondre à une question simple : quand on parle de scepticisme chez Montaigne, de quoi parle-t-on exactement  ? La mise en évidence de l’influence pyrrhonienne sur « l’art de conférer » qui définit, au troisième livre, un véritable « art poétique » de l’essai, permettra de montrer comment — de manière plus proche qu’on ne le croit de Sextus Empiricus — la pratique de « l’essai » chez Montaigne met en jeu une forme d’expérience intellectuelle fondée sur la maîtrise de la contradiction, permettant de canaliser la « vanité » foncière d’un esprit humain maladivement engagé dans la quête de sens. Une telle matrice pyrrhonienne demanderait de produire des lectures suivies de chapitres dans leur intégralité. En effet, la difficulté souvent posée par les études montaigniennes, malgré la mise en garde de J.-Y. Pouilloux dès 1969, est de poursuivre des études thématiques par prélèvements de passages isolés, ponctions favorisées par des index et des concordances. Or, comme dans le cas de l’argumentation sceptique déployée chez Sextus Empiricus, la valeur de chaque argument pour son énonciateur ne peut dépendre que de son emploi dans un contexte plus global — au moins celui du chapitre dans son ensemble. Il s’agirait donc de conduire un travail de reconstruction de l’argumentation à une échelle donnée, en proposant « l’explication linéaire et structurée » de bon nombre de chapitres mettant en œuvre des procédures antithétiques structurées, malgré l’effet d’improvisation et de liberté que Montaigne cherche à produire. L’impact poétique du pyrrhonisme ne pourrait être perceptible qu’au prix d’une telle enquête, en apparence fastidieuse et systématique, mais dont les résultats seraient décisifs.
Une fois le cadre pyrrhonien — tant poétique que noétique — fixé, nous voudrions lancer deux enquêtes « d’application » de ce traitement méthodologique à des questions générales, fort débattues et souvent mal comprises : d’une part, consacrer une section de l’ouvrage à la question de l’action, question très sensible chez les pyrrhoniens qui ont été critiqués pour l’inaction et l’apathie dans laquelle ils risquaient de sombrer. Cette réflexion permettrait de revenir sur le discours politique de Montaigne, trop souvent réduit à un conservatisme — notion qui n’est pas réellement adéquate pour penser l’articulation montaignienne du scepticisme et de l’action. D’autre part, nous consacrerions la troisième section de l’ouvrage à la délicate question de la religion dans les Essais.

Parution chez Classiques Garnier vers 2011 sous le titre : « La loy de pure obeïssance » : le pyrrhonisme à l’essai chez Montaigne.