Partenaires

IHPC
CNRS
ENS de Lyon Université Blaise Pascal- Clermont-Ferrand
Université Lumières - Lyon 2 Université Jean Monnet - Saint-Etienne


Rechercher

Sur ce site

Sur le Web du CNRS


Accueil du site > Colloques > Archives > Appel à contribution pour le colloque "Les âges classiques au XIXe siècle"

Appel à contribution pour le colloque "Les âges classiques au XIXe siècle"

Pour le 1er juillet 2014 au plus tard

Organisé par Delphine Kolesnik-Antoine et Stéphane Zekian

Date limite d’envoi des propositions : 1er juillet 2014

Il y a dix ans, un ouvrage dirigé par Jean Dagen et Philippe Roger invitait à redécouvrir l’hypothèse d’un « siècle de deux cents ans » qui s’étirerait du règne d’HenriIV à celui de Louis XVI. Ce que les éditeurs du volume nommaient « un long siècle français, politique, religieux, culturel » n’avait, jusqu’alors, rien d’une évidence. L’histoire littéraire, soucieuse de mettre en valeur la singularité de ses objets, a de fait longtemps mis l’accent sur les effets de contraste, voire les franches divergences d’un siècle à l’autre. Nul doute, à cet égard, que la spécialisation par siècles des domaines de recherches et des champs de compétences ait, elle aussi, contribué à différer l’examen d’une telle hypothèse. De ce point de vue, Un siècle de deux cents ans annonçait un possible tournant dans l’appréhension de l’âge classique en France.

Nous nous proposons ici de reprendre l’enquête sous un signe réflexif, en nous interrogeant sur les avatars de la séquence xviie-xviiie siècles dans le discours littéraire, historique, critique et philosophique tout au long du xixe siècle. Car l’idée d’une séquence cohérente menant de la fin des Guerres de religion à la Révolution française n’est en elle-même pas neuve. Elle constitua même, au cours de débats aujourd’hui méconnus, un sujet majeur de controverses indissolublement historiographiques et politiques. Au lendemain de la Révolution française, en effet, l’articulation des xviie et xviiiesiècles soulève des questions dont les réponses, souvent très contrastées, sont autant de marqueurs idéologiques. Ce colloque invite donc à analyser, sous l’angle de leurs usages philosophiques et littéraires ainsi que de leurs fonctions sociales et politiques, les configurations concurrentes de ce qu’on n’appelle pas encore communément l’âge classique. Au lieu de séparer les postérités respectives de ces deux siècles, il paraît fécond de mettre en lumière leur solidarité fonctionnelle dans l’économie de la mémoire collective. Non pas, bien sûr, que les xviie et xviiiesiècles aient toujours fait l’objet d’un traitement similaire, loin s’en faut. À défaut d’être jugés identiquement, ils furent, en revanche, presque toujours considérés l’un par rapport à l’autre, comme s’ils possédaient mutuellement leur clef d’intelligibilité.

Dès le Consulat, en pleine réaction anti-Lumières, le publiciste Pierre-Louis Rœderer fustige le réflexe, très répandu dans la presse du temps, de « déprimer toujours le dix-huitième siècle en célébrant toujours celui qui l’a précédé ». L’époque, il est vrai, est à la simplification outrancière des représentations séculaires. Dans le Génie du christianisme, Chateaubriand avait donné l’exemple en proclamant que « le dix-huitième siècle diminue […] chaque jour dans la perspective, tandis que le dix-septième semble s’élever, à mesure que nous nous en éloignons ; l’un s’affaisse, l’autre monte dans les cieux ». Contre ce penchant à vouloir court-circuiter l’héritage des Lumières, de nombreux penseurs libéraux s’efforceront, par la suite, d’accréditer l’hypothèse d’un siècle de deux cents ans, seul susceptible de normaliser un xviiiesiècle alors objet de réactions haineuses. Ils avaient fort à faire face à la mouvance contre-révolutionnaire, où l’on pouvait alors dépeindre la transition d’un siècle à l’autre comme une lutte « entre le bien qui finit et le mal qui commence » (Suleau, 1819). Sans tomber toujours dans une pareille outrance, les institutions littéraires et philosophiques n’en éprouveront pas moins, tout au long du siècle, une gêne persistante envers le legs du xviiiesiècle. Un demi-siècle après Rœderer, le proudhonien Taxile Delord dressera un même diagnostic, en constatant que « la mode est parmi nos beaux esprits de renier le xviiiesiècle, et de descendre en droite ligne de Bossuet » (Delord, 1850).

Jusqu’à la IIIeRépublique, les historiens de la littérature n’auront de cesse de confronter et surtout de hiérarchiser les héritages de ces deux périodes. Le dosage mémoriel dont témoignent les manuels scolaires le montre assez clairement. De LaHarpe à Ferdinand Brunetière en passant par Désiré Nisard, René Doumic ou Émile Faguet, le xviiiesiècle aura du mal à s’imposer comme une époque légitime à part entière. Ainsi, et comme s’il était impossible d’envisager le xviiiesiècle en tant que tel, ses grandes figures ne seront bien souvent honorées qu’à la faveur d’un rapprochement avec le xviiesiècle : ce qui les sauve, c’est leur conformité, forcée pour les besoins de la démonstration, à l’esprit d’un xviiesiècle lui-même opportunément simplifié. Chateaubriand, sous le Consulat, se plaît ainsi à imaginer Voltaire élevé à Port-Royal. Cinquante ans plus tard, un disciple de Cousin ne procèdera pas autrement, en rapatriant à son tour Diderot dans l’orbite du « Grand siècle » : « par la sincérité, la naïveté, le désintéressement, il est du dix-septième siècle, pour son honneur » (Bersot, 1851).

L’histoire de la philosophie française trahit une défiance analogue envers le xviiiesiècle. Le point le plus étudié à ce jour est la façon dont l’école cousinienne institutionnalisa une image sensualiste, donc délétère, du xviiiesiècle, pour revaloriser au contraire un xviiesiècle spiritualiste dont le principal représentant, Descartes, rendrait toute sa gloire à une France en passe d’être détrônée par l’Allemagne, et sauverait en psychologie un legs empiriste qu’on avait cru confisqué par les Anglais. Les travaux pionniers d’Olivier Bloch, notamment suivi par Pierre F. Daled, ont ainsi montré comment et pourquoi le xixesiècle occultait les matérialismes des Lumières et leur potentiel subversif, en les écrasant sous un cartésianisme dualiste et anti-positiviste dont les effets se font encore sentir aujourd’hui.

Pourtant, le dialogue entre xviie et xviiiesiècles revêt bien d’autres formes dans ces histoires. D’une part, il convient de considérer, non pas seulement Victor Cousin et les siens, mais également leurs adversaires, ou ceux qui sont désignés ou se présentent comme tels. Les exemples ne manquent pas, de Pierre Leroux à François Broussais en passant par Joseph Ferrari, ou bien encore Jean Saphary. Tous configurent autrement le passé de la philosophie, dans des récits où le xviiiesiècle, ses problèmes, ses figures et ses méthodes, prennent le pas sur un xviiesiècle jugé trop abstrait et métaphysique. D’autre part, ceux qu’on a pu étiqueter comme des "cousiniens" sont loin de constituer un camp homogène. De Philibert Damiron, qui rédige plusieurs Mémoires sur les philosophes du xviiiesiècle (La Mettrie, d’Holbach, Diderot, etc.) à Charles Renouvier, qui s’appuie sur le renouveau des sciences de la vie au xviiesiècle pour redynamiser le spiritualisme, ils composent un panel bien plus divers et complexe qu’on ne l’a pensé jusqu’ici, des relations possibles entre les deux siècles. Enfin, on a trop peu insisté sur le réinvestissement, souvent tu mais effectif dans les textes, de problématiques propres au xviiiesiècle, chez les cousiniens eux-mêmes. Cela passe par un dialogue en sous-main, avec Leroux par exemple, sur la définition diderotienne de l’éclectisme ; par la reprise de problématiques propres à ceux qu’on a pu nommer les anti-philosophes ; et par la promotion de figures comme celles du Père André chez Cousin, notamment pour revenir sur la "persécution" des cartésiens, ou bien de Buffier ou Lelarge de Lignac chez Francisque Bouillier, pour promouvoir un sens interne revivifié entre temps par la figure controversée de Maine de Biran.

Afin de mettre en lumière et d’analyser « le sens politique des oppositions entre siècles » (Bertrand, 2006), on s’emploiera à comparer et surtout à démêlerles fils intriqués de ces deux mémoires. Cela passe bien sûr par un retour sur l’historiographie de la Querelle des Anciens et des Modernes. Mais bien d’autres chantiers restent encore inexplorés. Du point de vue postrévolutionnaire, le xviiesiècle alimente en effet une mémoire dont le principal caractère est d’être enchâssée dans l’héritage des Lumières. C’est d’abord vrai sur un plan philologique : de nombreux auteurs du xviiesiècle ont été édités au siècle suivant, et ce sont encore ces éditions que l’on pratique après la Révolution. Quels sont les effets de cette médiation éditoriale ? Comment le xixesiècle s’émancipe-t-il du prisme des Lumières ? Au-delà des questions philologiques, c’est également au xviiiesiècle qu’ont été mis en circulation les schémas historiographiques destinés à penser le xviiesiècle, en lui donnant tout à la fois un nom, des bornes chronologiques, une signification historique, une valeur philosophique. Le cas le plus emblématique reste celui du SiècledeLouisXIV de Voltaire, ouvrage séminal mais très délicat à manier, comme l’atteste sa très épineuse réception au lendemain de la Révolution.

Ne seront donc prises en compte, pour la participation à ce colloque, que les communications s’efforçant de penser conjointement les deux siècles et d’en éclairer les mises en regard réciproques.

Les propositions sont à envoyer simultanément aux deux organisateurs : delphine.kolesnik ens-lyon.fr et stephane.zekian ish-lyon.cnrs.fr, le 1er juillet 2014 au plus tard.


Liste sélective des sources citées :

Ernest Bersot, Études sur la philosophie du XVIIIe siècle. Diderot, Paris, Ladrange, 1851.

Jean-Pierre Bertrand, Philippe Régnier et Alain Vaillant, Histoire de la littérature française du XIXesiècle, 2e éd. actualisée, Rennes, PUR, 2006.

Olivier Bloch (éd.), Images au XIXe siècle du matérialisme du XVIIIe siècle,Paris, Desclée, 1978.

François-René de Chateaubriand, Essai sur les révolutions. Génie du christianisme, éd.Maurice Regard, Paris, Gallimard, 1978.

Victor Cousin, Œuvres philosophiques du Père André, Paris, Charpentier, 1843.

- Cours d’histoire de la philosophie moderne, nouvelle édition revue et corrigée, Paris, Didier-Lagrange, 16 vol., 1846-1851.

- Cours d’histoire de la philosophie, publié sous le titre Histoire générale de la philosophie. Paris, Didier, 1861.

Jean Dagen et Philippe Roger (éd.), Un siècle de deux cents ans ? : les XVIIe et XVIIIesiècles, continuités et discontinuités,Paris, Desjonquères, 2004.

Pierre F. Daled, Le Matérialisme occulté et la genèse du "sensualisme". Écrire l’histoire de la philosophie en France, Paris, Vrin, 2005.

Jean-Philibert Damiron, Essai sur l’histoire de la philosophie en France au XIXe siècle, Paris, Didot, 1828.

- Essai sur l’histoire de la philosophie en France au XVIIesiècle, Paris, Hachette, 1846.

- Mémoires pour servir à l’histoire de la philosophie au XVIIIesiècle (1858-1864), Genève, Slatkine, 1967.

Taxile Delord, article paru dans Le Peuple de 1850, n°10, 21 août 1850.

Pierre Leroux, Réfutation de l’éclectisme, où se trouve exposée la vraie définition de la philosophie, et où l’on explique le sens, la suite, et l’enchaînement des divers philosophes depuis Descartes. Paris, Gosselin, 1839.

Charles Renouvier, Manuel de philosophie moderne, Paris, Paulin, 1842.

[Pierre-Louis Rœderer], Œuvres du comte P.-L. Rœderer, Pair de France, membre de l’Institut, publiées par son fils le baron A.-M. Rœderer [...], Paris, Firmin Didot frères, t.7, 1858.

Louis de Suleau, « Du siècle de Louis XIV et de la Perfectibilité », Le Conservateur, t. 4, 1819.